Ruptures et continuités de la personne
Deux thèses en apparence antinomiques ont été développées pour rendre compte des traitements funéraires pratiqués dans les basses terres d’Amérique du Sud. L’une soutient l’idée que la coupure entre morts et vivants constitue le motif des pratiques mortuaires. L’autre pointe au contraire le souci de prolonger la continuité entre la personne disparue et ce qu’elle était de son vivant. À travers un examen des cérémonies funèbres, mais aussi des usages que les défunts suscitent, le cas des Wayùu de Colombie met en évidence une posture intermédiaire, qui oscille entre l’abolition et la conservation des morts, entre la préservation du souvenir et l’oubli. Cette ambivalence traduit un souci notable pour l’allégresse des yoluja, forme que prennent les individus après leur trépas. Dans cet article, ceux-ci sont notamment appréhendés à travers les « territorialisations » dont ils sont l’objet et les propriétés ontologiques qui leur sont prêtées. Il s’agit de montrer que le socle paradigmatique qui suppose l’existence de deux stades de mortalité – et l’anonymisation de la personne selon une temporalité calquée sur le processus biologique de décomposition des corps – autorise une variété d’articulations entre rupture et continuité. Les développements proposés entendent aussi de mettre en évidence le fait que, pour comprendre ces articulations, il est salutaire d’inscrire les pratiques funéraires dans un complexe relationnel plus large, qui relie les vivants et « leurs morts ».